L'intersectionnalité appliquée à la violence conjuguale

La violence conjugale est, nous le savons, largement issue de la reconduction d’une dynamique de rapports historiquement inégaux entre les femmes et les hommes. Elle comprend les agressions psychologiques, verbales, physiques et sexuelles ainsi que les actes de domination sur le plan économique.

Or, pour certaines femmes, la violence conjugale se combine avec d’autres formes de discrimination qui doivent être prises en compte si nous voulons mettre en place des programmes de prévention et des mesures d’intervention qui seront efficaces. Voici trois cas de figure.

Les femmes aînées

Les femmes aînées peuvent subir de la violence provenant non seulement du conjoint, mais également de la famille ou de personnes ou institutions les ayant à leur charge. Puisque l’espérance de vie des femmes est plus élevée que celle des hommes, elles se retrouvent plus souvent seules que ces derniers et sont donc plus vulnérables à ce type de violence.

En ce qui concerne la violence strictement conjugale, la violence psychologique est la forme de violence que l’on retrouve le plus souvent chez les aînées. Il appert que ces femmes sont très réticentes à dénoncer les violences notamment à cause de l’importance qu’elles accordent à l’institution du mariage, par loyauté pour leur conjoint ou par dépendance économique. Par ailleurs, pour différentes raisons, dont l’isolement social, la maladie ou certaines limitations, il est difficile de joindre les femmes aînées victimes de violence conjugale[1]. Cette violence chez les aînées est peu documentée. Par conséquent, les intervenants (sociaux, juridiques, médicaux) sont très peu informés ou outillés pour soutenir les femmes âgées vivant de la violence conjugale[2]. Le peu d’intérêt malheureusement porté par notre société aux réalités vécues par les personnes âgées peut en partie expliquer cet état de fait.

Les femmes avec handicap

Les femmes avec handicap subissent deux fois plus de violence conjugale que les femmes sans handicap[3] et subissent des formes plus sévères de violence[4]. Néanmoins, la problématique de la violence à l’égard des femmes handicapées est méconnue et peu documentée. Cette situation s’explique en partie par le stéréotype persistant selon lequel les femmes handicapées ne vivent pas en couple ou n’ont pas de vie sexuelle. Par ailleurs, la prévalence de la dépendance physique et économique ainsi que la pauvreté chez les femmes avec handicap augmentent le risque pour celles-ci de subir de la violence. La dépendance aux autres pour les soins, souvent prodigués par le conjoint, les met davantage à risque de subir de la violence et constitue également un obstacle à la dénonciation par crainte de perdre un soutien important dans leur vie.

Les femmes autochtones

Les femmes autochtones ont un risque plus élevé d’être victimes de violence conjugale et subissent des formes plus graves de violence que les femmes non autochtones. Elles sont également surreprésentées en tant que victimes d’homicide aux mains d’un partenaire amoureux[5]. La prévalence élevée de la violence conjugale à l’endroit des femmes autochtones s’explique par différents facteurs, particulièrement par les effets du colonialisme (mise sur pied des réserves, régime des pensionnats autochtones, perte de droits sur leur territoire, etc.), par les conditions socioéconomiques précaires dans lesquelles vivent plusieurs Autochtones, par l’isolement géographique et social et par la consommation abusive d’alcool et de drogues (qui est également une conséquence des éléments ci-haut mentionnés). À cela s’ajoutent des facteurs structurels tels que le racisme et l’exclusion sociale, ainsi que les traumatismes et la transmission intergénérationnelle de la violence, engendrés par des politiques de colonisation et d’assimilation à l’égard des populations autochtones[6].

Ainsi, pour les femmes autochtones, la violence conjugale n’est pas seulement une conséquence du patriarcat, mais aussi du colonialisme et du racisme[7]. Les femmes sont par conséquent réticentes à parler ouvertement de la violence qui sévit dans les communautés autochtones, par crainte d’alimenter les préjugés et le racisme à l’endroit de leur peuple. De plus, les expériences passées traumatisantes avec les institutions coloniales (système de justice, corps policiers, service de protection de l’enfance, système de santé) ont causé une perte de confiance envers ces institutions, mais aussi à l’égard des personnes qui sont extérieures à leur communauté.

En résumé

Les trois situations de violence conjugale présentées ci-dessus sont évidemment des conséquences des rapports inégalitaires entre les hommes et les femmes. L’analyse intersectionnelle nous a toutefois permis d’observer qu’à ces rapports inégalitaires s’ajoutent d’autres facteurs de discrimination, en l’occurrence l’âge, le handicap et la race/l’origine ethnique. Cette analyse nous a également permis de mettre en lumière que les manifestations de violence, leurs causes, leurs conséquences et les obstacles à leur dénonciation sont différents d’une situation à l’autre. Cette meilleure compréhension peut permettre la mise sur pied de programmes de prévention, de sensibilisation et d’intervention qui seront mieux adaptés à la réalité de ces femmes et de leur environnement, et qui seront donc plus efficaces[8].

Références

[1] SECRÉTARIAT À LA CONDITION FÉMININE, Plan d’action gouvernemental en matière de violence conjugale 2018-2023, http://scf.gouv.qc.ca/fileadmin/Documents/Violences/plan-violence18-23-access.pdf.

[2] INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE, Trousse média sur la violence conjugale, contexte de vulnérabilité : femmes âgées, https://www.inspq.qc.ca/violence-conjugale/comprendre/contextes-de-vulnerabilite/femmes-agees.

[3] INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE, Trousse média sur la violence conjugale, contexte de vulnérabilité : femmes handicapées, https://www.inspq.qc.ca/violence-conjugale/comprendre/contextes-de-vulnerabilite/femmes-handicapees.

[4] INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE, ibid.

[5] INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE, Trousse média sur la violence conjugale, contexte de vulnérabilité : femmes autochtones, https://www.inspq.qc.ca/violence-conjugale/comprendre/contextes-de-vulnerabilite/femmes-autochtones.

[6] INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE, ibid.

[7] Julie PERREAULT, La violence intersectionnelle dans la pensée féministe autochtone contemporain, Recherches féministes, vol. 28, no 2, 2015, https://www.usherbrooke.ca/philosophie/fileadmin/sites/philosophie/espace-etudiant/Feminisme_et_philosophie/perreault_2015_violence_intersectionnelle_et_pensee_feministe_autochtone_contemporaine.pdf.

[8] Pour obtenir plus d’information sur l’analyse féministe en contexte de violence faite aux femmes, voir :

Fédération des maisons d’hébergement pour femmes, L’intervention féministe intersectionnelle, réflexions et analyses pour des pratiques égalitaires et inclusives, http://fede.qc.ca/sites/default/files/upload/guide_ifi_-_partenaires.pdf.