Comprendre l’intersectionnalité

L’intersectionnalité est un cadre d’analyse qui permet de mieux comprendre la complexité du monde, les différentes oppressions qui perdurent et ses enchevêtrements avec le patriarcat. Cette compréhension permet ensuite de mieux saisir les différentes réalités, les inégalités qui subsistent et les obstacles à l’atteinte de l’égalité pour toutes les femmes.

L’analyse intersectionnelle vise à reconnaître les réalités et les oppressions des femmes qui vivent dans les marges et évite ainsi de se référer uniquement à la moyenne des femmes pour dresser des portraits, tirer des conclusions, définir des priorités ou établir des moyens d’action. L’intersectionnalité vise à rendre visibles et audibles les personnes et les situations qui ne le sont pas et à prendre en compte la diversité des expériences que peuvent vivre ces femmes. Ainsi, en plus du sexisme hérité du patriarcat, les femmes peuvent être confrontées à d’autres discriminations qui s’additionnent et s’enchevêtrent, spécialement celles basées sur le statut socioéconomique, le handicap, la race, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’âge, etc. Parfois, ces discriminations empêcheront des femmes d’accéder aux services, programmes, études, emplois ou privilèges qui sont normalement accessibles pour la majorité d’entre nous. Ce sont ces barrières d’accessibilité, souvent insidieuses, que l’approche intersectionnelle vise à mettre en lumière et à faire tomber.

Un parallèle intéressant peut être fait entre la théorie économique du ruissellement (régulièrement mis de l’avant par les économistes néolibéraux) et le féminisme. Selon ces économistes, la création de la richesse, même lorsqu’elle est concentrée entre les mains d’un petit nombre, a un effet de ruissellement et finit par bénéficier à l’ensemble de la population. Or, comme le mentionne l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) : « La fameuse doctrine de l’économie de ruissellement (trickledown economics) ne fonctionne pas. Donner des avantages aux plus riches pour qu’ils redynamisent l’économie par leurs choix judicieux aurait été un échec sur plus de 30 ans. Il semblerait, au contraire, que c’est en misant sur l’augmentation des revenus des 20 % les plus pauvres qu’on parvient à avoir véritablement un effet positif sur la croissance, et ce, tant dans les sociétés en voie de développement que dans les économies avancées[1]. »

L’analogie de la théorie du ruissellement s’applique parfaitement au féminisme. Contrairement à ce qu’on pourrait affirmer, les avancées qui ont bénéficié aux femmes les mieux nanties ou même à la « femme moyenne » ne permettent pas nécessairement aux femmes dans les marges d’avancer elles aussi. Au contraire, une fois que certains droits ou privilèges sont considérés comme des acquis pour une majorité de femmes, les plus marginalisées, elles, doivent continuer à se battre seules, pour pouvoir accéder elles aussi à ces droits ou à ces privilèges.

À cet égard, la situation des femmes ayant un statut migratoire précaire est un exemple éloquent. Sur le marché du travail, ces femmes vont vivre davantage de violation de leurs droits (discrimination dans l’accès à l’emploi, non-respect des lois sur les normes du travail, harcèlement sexuel, etc.) que les autres femmes parce qu’elles sont femmes ET qu’elles ont un statut migratoire précaire. Alors que la majorité des femmes sont protégées par les lois et ont accès à des recours juridiques en cas de non-respect de celles-ci, pour différentes raisons, les femmes ayant un statut migratoire précaire y ont beaucoup moins accès.

En somme, appliquer l’intersectionnalité signifie non seulement de lutter pour l’égalité entre les hommes et les femmes, mais également de s’assurer de ne laisser aucune femme derrière en luttant également pour l’égalité des femmes entre elles.

Références

[1] Eve-Lyne COUTURIER, Le ruissellement ne fonctionne pas, vive le ruissellement, 21 juin 2015, https://iris-recherche.qc.ca/blogue/le-ruissellement-ne-fonctionne-pas-vive-le-ruissellement.